Digital Detox: ou comment instaurer une culture du bien-être numérique

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Il est 3 heures du matin, je ne peux pas dormir, je prends mon téléphone qui se trouve sous mon oreiller (il a déjà quitté ma table de nuit pour venir encore plus près de moi) et je vérifie combien d’équipes se sont enregistrées sur la plateforme du Wellbeing Challenge dont je suis responsable. J’envoie vite un mail à un collègue basé en Australie pour m’assurer qu’il a bien fait l’enregistrement des équipes sur le serveur. Ceci ressemble peut-être à votre réalité d’aujourd’hui, ça été la mienne pendant une année. Le mot d’ordre de notre direction était que nous devions répondre à tous les mails et toutes les demandes en moins de 24h, weekend compris.

Chez certains courtiers en bourse, on ne parle même plus d’heures, ni de minutes, mais de nanosecondes pour faire du profit. Alors mon témoignage peut faire sourire. Mais pour moi, bien que la réactivité soit importante, elle ne doit pas se faire sur le long terme, au risque d’impacter très négativement notre santé.

L’utilisation des technologies de l’information et de la communication, – dont l’utilité pour les entreprises n’est pas à discuter – génère la perception de la nécessité du ‘always on’ parce que sinon on risquerait de perdre un client, un marché, une information importante. Cette hyper réactivité se fait au détriment de notre bien-être. Elle brouille les frontières entre travail et vie à la maison et a conduit à des attentes très fortes en matière de disponibilité ainsi qu’à la perception qu’on doit être connecté et disponible 24h/24, 7jours/7, 365 jours par an. Nous sommes devenus accros, voir addicts à notre téléphone et à ses innombrables possibilités. Voici quelques statistiques histoire de se faire peur. En moyenne :

  • Nous regardons notre téléphone toutes les 12 minutes
  • 65% de gens jouent sur leur téléphone/tablettes pour se relaxer à la maison
  • Nous passons 25 heures par semaine sur les réseaux sociaux
  • 46% d’entre nous ne pourrait pas se passer de son téléphone
  • 4 milliards de gens, la moitié de la population mondiale, a accès à Internet

Qu’est-ce que le bien-être numérique ?

Le bien-être numérique est une approche soucieuse d’aider à mieux gérer le temps que nous passons devant les appareils mobiles, le Web et la technologie en général, ainsi qu’à ajuster cette dernière à nos besoins plutôt que l’inverse.

Quelques idées pour diminuer notre ‘addiction’ aux technologies digitales

Depuis plusieurs années, les entreprises se rendent compte que le digital, le numérique, ont un sérieux impact sur la santé physique, émotionnelle, mentale, et sociale des employés. Le digital impacte tous les aspects de notre bien-être, positivement ou négativement selon l’usage qu’on en fait. A tel point que le sujet était deux fois à l’agenda du 2020 Wellbeing@Work Summit d’Amsterdam, auquel j’ai participé la semaine dernière, à distance bien sûr. Merci la technologie ! Une des sessions portait sur comment établir une culture de bien-être digital. Elle a permis de partager les différentes stratégies mises en place par les participants pour essayer de poser des garde-fous à notre addiction aux technologies. En voici quelques-unes, que je teste depuis une semaine, toutes simples à mettre en place sans pour autant être révolutionnaires :

  • Annulez son compte Facebook. Bon, soit, je n’ai pas annulé mon compte pour voir ce que cela faisait, mais je regarde les posts en pleine conscience et une fois par semaine au maximum.
  • Laissez le téléphone et la tablette hors de la chambre à coucher. Cette pratique marche véritablement, mon écran n’est plus la dernière chose que je regarde avant de m’endormir ni la première que je vois au réveil, un vrai bonheur.
  • Désactivez toutes les notifications (si, si, toutes !). Essayez, ça vaut la peine, même si cela prend du temps pour les désactiver puisqu’il faut le faire une par une. Commencez par celles qui sont les plus intrusives, à savoir Netflix, Spotify, Amazon et Kindle.
  • Installez des Applications pour vous aider à reprendre le contrôle de votre vie numérique et définir vos limites avec la technologie et les médias sociaux (Thrive away par exemple). Oui, ça peut paraître ironique d’ajouter un outil technologique pour aider à réduire les méfaits des technologies, mais ca semble néanmoins être une bonne stratégie.
  • Réglez votre téléphone sur noir et blanc. Les écrans LCD aux couleurs vives stimulent des parties de notre cerveau qui nous rendent dépendants. Dans la nature, les couleurs vives signifient des objets d’intérêt, et notre cerveau est attiré par les couleurs vives. Essayez de changer le réglage de votre téléphone sur noir et blanc, et vous verrez les effets que cela aura sur votre temps d’utilisation. Je vous l’avoue, je ne suis toujours pas habituée à la chose, j’ai un peu l’impression d’être en deuil depuis que j’ai mis cette stratégie en place. Néanmoins, mon écran est toujours en nuances de gris et cela semble marcher en termes de diminution de l’utilisation.
  • Et la dernière, regardez le documentaire-drame ‘The Social Dilemma’ qui explore l’impact dangereux des réseaux sociaux sur l’humain, ceci avec des experts en technologie qui sonnent l’alarme sur leurs propres créations. Je vous promets que ça vous coupera l’envie d’offrir une tablette à votre fille de 10 ans et vous aidera à laisser votre téléphone loin loin de vous…du moins pendant quelques heures. 

Alors oui, en faisant tout cela, vous allez peut-être souffrir de ce qu’on appelle FOMO (Fear Of Missing Out), la peur de passer à côté. Lorsque vous êtes tellement à l’écoute de « l’autre », ou du « meilleur » vécu par les autres, vous perdez le sens de qui vous êtes vraiment. Pour vous aider, rappelez-vous que la comparaison de votre vie avec celles des autres est, selon Buddha, le voleur du bonheur (‘Comparison is the thief to joy’).

Et en entreprise, que veut dire le bien-être digital ?

Lorsqu’on s’est véritablement rendu compte que les employés ne se déconnectaient plus, que les mails circulaient 24h/24h et que cela avait une réelle incidence sur le bien-être des équipes (digital overload ou surcharge numérique), les organisations ont commencé à définir des règles concernant l’envoi d’emails, voir même à couper les serveurs mails en dehors des heures de bureau. Volkswagen a été une des premières entreprises à lancer le mouvement dès 2012, pour enrayer la ‘always on culture’. Ils ont été suivis par Daimler, toujours en Allemagne, qui a décidé que tous les mails reçus pendant les vacances seraient automatiquement effacés et que l’expéditeur serait prié de trouver un autre destinataire en l’absence du destinataire initial.

Je ne suis pas sûre que toutes les organisations devraient imposer de telles mesures pour permettre aux collaborateurs de se déconnecter du travail. Mais quand on voit les répercussions que le digital overload a sur notre santé mentale, physique, sociale et émotionnelle, il y a forcément quelque chose à faire pour améliorer le bien-être numérique. En effet, comme indiqué dans un rapport du Bank Workers Charity (BWC), trop de technologie a un impact, entre autres, sur :

  • Le sommeil : 47% des adultes ont un endormissement difficile ou un sommeil perturbé à cause d’une trop grande utilisation d’internet ;
  • La vision : le syndrome de la vision altérée par l’utilisation de l’ordinateur est l’un des principaux risques sur la santé au travail du 21eme siècle (les symptômes sont maux de tête, trouble de la vision et sécheresse des yeux) ;
  • La sédentarité : pas besoin d’expliquer cela, nous savons tous l’impact que les écrans ont sur l’activité physique ;
  • La communication : un usage trop intensif des technologies empêche une communication basée sur la compréhension du langage corporel, du ton de la voix, des expressions faciales et augmente les conflits dûs à une mauvaise ou fausse compréhension de l’autre ;
  • La productivité : le digital overload réduit notre productivité de 40% ;
  • Le stress et l’anxiété : il est augmenté par la surcharge numérique ;
  • Les troubles psychologiques : l’âge moyen des premiers symptômes de dépression était de 45 ans en 1960, il est de 14 ans maintenant ! La corrélation est très claire entre usage trop intensif des technologies et troubles psychologiques ;
  • La pression artérielle, la fréquence cardiaque : les utilisateurs de smartphone voient leurs paramètres augmenter de manière significative ;
  • Le suicide : l’utilisation intensive des réseaux sociaux est étroitement corrélée au taux de suicide, surtout chez les jeunes femmes. Même chose pour les cas de cyber harcèlement ayant conduit à des suicides chez des adolescents, même très jeunes.

Différentes stratégies pour augmenter le digital wellbeing de vos employés

Mais tout n’est pas tout noir, loin de là. De plus en plus d’organisations intègrent des aspects de santé digitale dans leur stratégie globale de bien-être. La prise de conscience, surtout depuis l’arrivée de la COVID-19, est là. Maintenant qu’il n’y a presque plus de limites entre vie professionnelle et vie privée, que le bureau s’est installé dans le salon et que les enfants participent aux téléconférences, parfois par volonté mais souvent plutôt par manque d’alternatives pour les parents, le bien-être digital devient une préoccupation centrale de beaucoup de responsables RH. Voici quelques pistes pour inclure des aspects de santé digitale dans votre stratégie de bien-être :

  • Elaborer une politique de travail claire concernant l’utilisation des technologies
    Cette politique pourrait contenir des règles concernant des pauses quotidiennes loin des écrans, comme cette organisation qui recommande fortement une déconnection totale entre 12h et 13h, et les vendredi après-midi sans zoom/teams/skype meetings, live chat, instant messaging ou autres emails. A l’image de la France qui a lancé en 2016 un droit à la déconnexion, les organisations devraient arriver à définir des guidelines offrant le choix et le droit aux employés de se déconnecter en dehors des heures de bureau, en weekend et en vacances.
  • Encourager les collaborateurs à mettre leur propre barrière
    Les conseils de bon sens donnés plus haut, comme la désactivation des notifications ou encore un rituel occasionnel comme l’observation d’un sabbat numérique ou une ‘digital detox, ne vont pas assez loin pour aider les employés à reprendre le contrôle de leurs vies technologiques. Ce dont ils ont besoin, c’est d’une méthode réfléchie pour décider des outils à utiliser, à quelles fins, et dans quelles conditions. Ils pourront ainsi cesser d’être eux-même le produit de l’outil technologique et redeviendront les utilisateurs de ce produit, comme le préconise le professeur d’informatique et auteur Cal Newport dans son dernier livre “Digital Minimalism: Choosing a Focused Life in a Noisy World”. Les organisations peuvent aider les collaborateurs à réapprendre quels sont leurs objectifs, et à n’utiliser les technologies que pour les atteindre, avec intention et de manière consciente. Par exemple, une entreprise a supprimé les applications d’aide à la collaboration et à la communication en ligne telles que Trello et Slack des téléphones portables des employés. Ce genre d’initiative peut aider les collaborateurs à se sentir plus libres de mettre eux-aussi en place leur propre barrière technologique.
  • Aider les collaborateurs à se connecter à ce qui compte vraiment pour eux
    Instaurer des journées de ‘digital detox’, et encourager les collaborateurs à partager leur ressenti durant ces journées sans technologies. Ce genre d’exercice permet de voir la difficulté que l’on a à se déconnecter complétement, de vivre quelque chose d’intense tous en même temps, de se reconnecter à ce qui compte vraiment. Le fait de pouvoir partager ensuite son ressenti ainsi que son vécu avec ses collègues permet d’entrer en connexion de manière différente qu’à travers le quotidien du travail.

Personne ne peut prédire précisément ce que la révolution numérique va continuer à apporter au monde. Tout comme pour toutes les précédentes révolutions (la vapeur, le train, l’électricité…), la plupart d’entre nous pensent probablement qu’on en fait beaucoup trop sur le sujet, qu’il y a beaucoup de panique et de stress pour rien. Cela peut prendre un certain temps, mais ‘le soufflé’ retombera et nous reviendrons dans le monde qui émergera comme un endroit meilleur. Cependant, il existe deux différences significatives par rapport aux révolutions précédentes : la vitesse et le volume. Ces deux éléments sont des attributs essentiels de toutes ces nouvelles technologies numériques. Les données, les informations, vraies ou fausses, voyagent tellement plus vite et dans des volumes tellement plus grands, que cela implique une rupture structurelle avec le passé. On ne peut donc plus véritablement comparer cette révolution aux précédentes et il nous faut mieux nous préparer aux changements présents et à venir pour ne pas subir la vague, mais la surfer.

Pour offrir un bien-être numérique aux collaborateurs, nous devons nous rappeler que tout progrès est une arme à double tranchant et que nous devons procéder avec prudence, intention et conscience. La technologie n’est intrinsèquement ni bonne ni mauvaise. La clé est de l’utiliser pour soutenir nos objectifs et nos valeurs, plutôt que de la laisser nous utiliser.

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Delphine Caprez