La santé émotionnelle : ou comment augmenter la performance grâce à l’agilité émotionnelle

FlexibilitéEmotionelle

Même le Dalaï-Lama le dit : « Aujourd’hui (2020), le monde semble affronter une crise émotionnelle. Le stress, l’anxiété et la dépression sont à des niveaux plus élevés que jamais. »

Et quand on sait que la chose la plus contagieuse sur terre n’est ni Ebola, ni la COVID-19, mais les émotions – et qu’on a déjà tous été contaminés – il y a de quoi s’alarmer devant l’ampleur de cette pandémie émotionnelle qui nous touche tous.

Mais reprenons du début, qu’est-ce que la santé émotionnelle ?

Il n’existe pas de définition officiellement acceptée de la santé émotionnelle. Le terme est souvent utilisé, à tort ou à raison, comme synonyme de santé mentale ou de bien-être émotionnel.

La santé émotionnelle fait référence à un ensemble de compétences et de croyances qui fondent nos émotions, nos pensées et notre comportement. Family Links: The Center for Emotional Health basé en Angleterre a proposé en 2017 une définition ainsi qu’un cadre pour la santé émotionnelle. Ce cadre est constitué de 7 éléments. Ils sont d’égale importance et c’est surtout leur interconnexion qui constitue notre bien-être émotionnel.

  • Confiance en soi
  • Connaissance/conscience de soi
  • Auto-régulation
  • Croyances sur les autres
  • Conscience sociale
  • Compétences relationnelles
  • Efficacité personnelle

 

Et en quoi c’est différent de l’intelligence émotionnelle ?

Contrairement à l’intelligence émotionnelle, qui est considérée comme un ensemble de caractéristiques propres à chaque individu, la santé émotionnelle est déterminée par l’interaction entre l’individu ET son environnement social. Le contexte environnemental d’un individu pourra non seulement façonner et développer ses compétences sociales et émotionnelles, mais aussi pourra le cas échéant activer ou désactiver également ses actifs existants.

Néanmoins, il est vrai qu’il existe de vraies similitudes entre intelligence et santé émotionnelles. En 1995, le psychologue et journaliste américain Daniel Goleman a démocratisé le fameux concept de l’intelligence émotionnelle, et du quotient émotionnel (QE), dans son best-seller ‘Emotional Intelligence’. Il y présente les 5 domaines identifiés dans la conception de l’intelligence émotionnelle qui sont :

  • Maitrise de soi,
  • Conscience sociale ou empathie
  • Aptitude sociale,
  • Conscience de soi,
  • Auto-motivation.

On voit que ces 5 éléments sont bien inclus dans le diagramme ci-dessus. Pour moi, il est important quand on parle de santé ou de bien-être émotionnels :

  1. D’inclure toutes les compétences et croyances qui façonnent nos émotions, nos pensées et notre comportement;
  2. D’interconnecter ses compétences et croyances entre elles ainsi qu’avec notre environnement extérieur et social ;
  3. De s’assurer que toutes les émotions soient prises en compte, surtout les émotions difficiles que nous pouvons ressentir ;
  4. Tout en évitant la contagion émotionnelle.

Nous avons vu les deux premiers points, passons donc à la prise en compte des émotions difficiles et surtout cette capacité émotionnelle à faire face aux peurs et à l’anxiété dans un nouveau monde instable et souvent anxiogène.

 

De l’Agilité Emotionnelle à la Flexibilité Emotionnelle

Au cours des 2 dernières décennies, les compétences liées à l’agilité émotionnelle sont venues enrichir les programmes de développement du leadership, qui comprenaient déjà des éléments de bonne santé physique et mentale. Les travaux du Dr. Susan David, psychologue de renom et auteur du livre ‘Emotional Agility’ y ont fortement contribué. L’agilité émotionnelle est cette capacité que nous avons tous, certains plus que d’autres, de traverser les nombreuses difficultés que la vie nous impose, sans jugement et avec acceptation, et ouverture d’esprit. Ce processus ne consiste pas à ignorer les émotions ou les pensées difficiles, mais à les vivre et à les affronter avec courage et compassion pour soi-même. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez lire notre blog L’agilité émotionnelle: ou comment développer notre 6ème sens.

En 2019, le concept de flexibilité émotionnelle a été ajouté par le Dr. Jacqui Brassey, professeure adjointe à l’Université IE (Espagne) et membre du Center of Learning Innovation. Nous voyons maintenant la nécessité d’un élément supplémentaire de remise en forme des individus et des équipes dans les organisations : ce que le Dr Brassey appelle le fitness émotionnel. Ce concept se réfère à entrainer la capacité émotionnelle à faire face aux peurs et à l’anxiété dans un nouveau monde de moins en moins stable. Cet entrainement est d’autant plus important qu’en parallèle, nous pouvons voir émerger en entreprise une énorme stigmatisation autour du sujet de l’insécurité, de la peur, du manque de confiance en soi et de l’anxiété. Et bien évidemment, cela s’est encore renforcé avec l’arrivée de la COVID-19.

Il existe plusieurs méthodes ou modèles pour encourager la remise en forme émotionnelle des équipes ainsi que la régulation des émotions. En voici une, tiré de la thérapie d’acceptation et d’engagement (TAE), ou ACT (Acceptance and Commitment Therapy). Cette thérapie cognitive comportementale, développée à la fin des années 90 par Steven Hayes, était à la base utilisée dans un cadre clinique pour traiter les troubles psychiques tels que la dépression, l’anxiété, le burnout. Le Dr Brassey ainsi que d’autres spécialistes du domaine ont récemment appliqué cette thérapie dans le monde professionnel et les résultats sont extrêmement positifs, avec des ameliorations tangibles de ce fitness émotionnel au sein des équipes. Le modèle ACT comprend 6 éléments :

  • Les valeurs et les buts de la vie
  • La mindfulness ou la pleine conscience du moment présent
  • L’acceptation
  • Le désamorçage
  • La prise de distance
  • La mise en place d’objectifs clairs

Il est possible de mesurer ces 6 éléments, à l’aide d’un questionnaire en ligne développé par le Dr Brassey et son équipe. J’ai moi-même fait le test et les résultats de mon test personnel, en vert sur le dessin. Comme on le voit, les points d’amélioration sont la prise de conscience de ce que sont mes valeurs (values) ainsi que la mise en place d’objectifs clairs et actionnables (committed action). Et mes points forts sont l’acceptation (acceptance), suivi de près par la capacité d’être présente dans le moment (present moment awareness). Grâce à ces résultats, je peux ensuite utiliser des outils adéquats et précis pour pouvoir améliorer les élément sur lesquels j’ai envie de progresser. Sans rentrer dans les détails, et en fonction de mes résultats, je pourrais me focaliser sur un outil tel qu’un ikigai pour clarifier et renformer ma raison d’être ou mon but de vie, ainsi que créer mon board de conseillers personnels ou mentors pour m’aider à avancer dans mon plan d’action. Il existe plusieurs outils pour chaque élément et les leviers d’amélioration sont donc pratiques, nombreux et faciles à mettre en place. Cette méthode s’applique en entreprise, elle est utilisée dans des ‘Health Oriented Leadership Program’, contactez-moi pour plus d’info sur le sujet parce que j’offre de telles formations. Elle peut également se faire en équipe pour avoir encore plus d’impact. Il est ensuite aisé de mesurer l’évolution de la flexibilité émotionnelle des équipes.


Pourquoi améliorer la flexibilité émotionnelle des managers et des équipes ?

Améliorer l’agilité émotionnelle des employés au sein des organisations apporte les résultats positifs suivants :

Avantage pour l’employeur Avantages pour l’employé
Meilleure performance des employés L’estime de soi et l’assurance
Meilleure communication Meilleurs résilience et bien-être mental
Cohésion d’équipe plus forte Meilleures aptitudes pour les relations sociales
Plus grande fidélité des employés car sentiment d’appartenance plus développé Prévention des problèmes de santé mentale dont l’anxiété

Dans un monde où un employé sur quatre souffre de troubles psychiques, où le sentiment d’appartenance et la cohésion des équipes sont en perte de vitesse, où la solitude et la distance physique sont devenues la norme, et où la peur et l’anxiété sont à des niveaux alarmants, offrir les meilleurs outils aux employés pour leur permettre d’augmenter leur agilité émotionnelle prend tout son sens. Et, bien que ce ne soit pas le but le plus avouable, l’augmentation de performance ne peut se faire durablement sans une régulation des émotions des équipes.

Comment réguler les émotions des équipes pour une meilleure performance ?

Ce qui aura le plus d’impact sur la performance de vos équipes est de déployer des initiatives ou des programmes qui touchent à tous les aspects évoqués plus haut de la santé émotionnelle.

Voici les quatre leviers dont vous disposez pour améliorer le bien-être émotionnel de vos employés et de vos managers :

  • Développer une perception de sécurité psychologique

Ce qu’on appelle sécurité psychologique est la condition qui permet de se sentir inclus, serein d’apprendre, serein de contribuer, et serein de contester le statu quo et ceci sans la crainte d’être jugé(e), marginalisé(e) ou puni(e) d’une manière ou d’une autre. Cette définition sortie tout droit du livre du Dr Timothy Clark – The Four Stages of Psychological Safety : The Path to Inclusion and Innovation sorti en 2019, fait écho à la notion de confiance. Si un employé n’a pas confiance dans son manager, il ne se sentira pas libre de prendre la parole et souffrira d’insécurité psychologique.

Il faut donc commencer par le management, équiper tous les niveaux de management pour qu’ils puissent offrir cette sécurité psychologique et permettre aux employés de sortir du silence dans lequel ils se sont parfois emmurés pour se protéger. Tout commence par encourager les managers à pratiquer la tolérance, l’inclusion, à être ouvert au dialogue et aux feedbacks, à accepter la contradiction, à montrer leur propre vulnérabilité en partageant leurs erreurs, à offrir leur disponibilité à leur équipe ainsi que leur écoute empathique, sans jugement.

Cela prend du temps de créer un environnement de travail où chacun(e) se sent inclus, écouté(e) et non jugé(e), où les employés trouvent que demander de l’aide ou des conseils est accueilli positivement, que contester les pratiques douteuses est valorisé et non stigmatisant, et qu’être différent(e) est respecté et non souligné ou ridiculisé. Mais le jeu en vaut la chandelle quand on connait l’impact d’un tel environnement de travail sur le bien-être et donc la productivité et la performance des employés.

  • Favoriser un environnement de travail basé sur la compassion

La compassion s’associe au « sentiment de préoccupation pour la souffrance d’autrui et au désir d’améliorer le bien-être de cet individu ». Elle peut se produire sans le partage affectif de l’observateur.

Puisqu’on est dans le chapitre des émotions, s’il y a une émotion que nous devons tous développer, pratiquer et diffuser, c’est la compassion, pour soi et pour les autres. Nous avons beaucoup entendu parler de cette émotion durant le confinement et tous les thérapeutes interrogés mettaient en avant son importance. Pourtant elle n’existe pratiquement pas sur les listes « officielles » des émotions. Lorsque je préparais le contenu d’un webinar pour un client au début du confinement, j’ai passé pas mal de temps à chercher l’emodji de la compassion, sans succès, c’est tout dire non ?

Selon des recherches faites au Greater Good Science Center de l’UC Berkeley, la compassion renforce les émotions positives, crée des relations de travail positives et augmente la coopération et la collaboration. Il existe même des programmes de formation à la compassion tels que celui proposé par le Centre pour la compassion, l’altruisme et la recherche en éducation (CCARE) de l’Université de Stanford aux Etats-Unis. Ces programmes ont démontré que cultiver la compassion augmente le bonheur et le bien-être et réduis le stress.

Et ce qui est encore plus intéressant c’est que la compassion et la productivité ne s’excluent pas mutuellement. Le succès individuel, d’équipe et organisationnel repose sur un environnement de travail empreint de compassion.

Développons donc un environnement qui encourage et promeut la compassion pour les autres. Quand chacun se soucie vraiment des autres, il est plus facile de se sentir en sécurité, plus créatif et plus engagé.

  • Valoriser et encourager les collaborateurs

Selon un article de la Harvard Business Review, au lieu de récompenser les employés « faisant du bon travail » grâce à une approche de la carotte et du bâton, les employés seraient bien plus motivés en « se sentant bien dans leur travail ». S’assurer que les employés se sentent valorisés au sein d’une organisation est donc essentiel car cela permet d’améliorer leur bien-être et les performances des équipes tout en réduisant turn-over, absentéisme et présentéisme.
Pour ce faire, un outil simple à mettre en place est la pratique du feedback et du dialogue, où chacun est encouragé(e) à donner son appréciation et son ressenti.

Communiquer une stratégie business et une stratégie d’équipe très claires est également important parce que nous avons besoin de sens dans ce que nous faisons. Plus les collaborateurs auront une compréhension claire des objectifs (les leurs, ceux de l’équipe et du business), de la manière dont ils y contribuent et dont leur équipe les soutient, plus ils se sentiront valorisés et émotionnellement stables.

  • Réguler la contagion émotionnelle

La contagion émotionnelle décrit le phénomène de l’adoption automatique et inconsciente par une personne de l’état émotionnel d’une autre personne ou d’un groupe de personnes. A la différence de la compassion dont on vient de parler, ce partage affectif ne nécessite pas de connaitre l’origine de l’émotion de l’autre. Un exemple de contagion émotionnelle : le bébé, qui, bien avant de développer un sentiment de soi ou de l’autre, se met à pleurer quand il entend un autre bébé pleurer.

En entreprise, la contagion émotionnelle peut être autant favorable que néfaste à la productivité et à la performance. Comme le dit le professeur et chercheur en psychologie sociale Christophe Haag dans son livre ‘La contagion émotionnelle’ publié en 2019, la contagion émotionnelle a incontestablement ses avantages. Le fait qu’elle soit innée, automatique et surtout qu’elle ait persisté à travers les âges indique qu’il s’agit d’un phénomène extrêmement utile à la survie de notre espèce. Si votre colère ou votre enthousiasme n’était pas contagieux, vous auriez moins de chance d’être aidé(e). Et cette contagion est également utile pour l’unité du groupe, elle augmente la communion émotionnelle et le sentiment d’appartenance, les membres d’un même groupe ressentent la même émotion, en même temps. Les fans de foot qui assistent à tous les matchs de leur équipe favorite comprendront sûrement…

Mais trop de contagion est nuisible, aussi bien pour soi que pour les autres, et encore plus en entreprise. Si on prend le cas d’une entreprise en restructuration, il n’y a rien de pire que la contagion de la peur et du sentiment d’insécurité pour détériorer l’ambiance de travail.

Il existe des formations pour apprendre aux managers ainsi qu’aux membres des équipes, à réguler leur perméabilité aux émotions d’autrui. Le rôle des managers est très important pour désamorcer des montées en émotions dites négatives comme la peur, la colère, la détresse. Je me souviens d’un Top manager qui ne mettait aucun filtre sur ses émotions, positives comme négatives. Nous savions comment la journée allait se dérouler au moment où il entrait dans le bureau, nous allions soit être ‘contaminés’ par sa colère si son équipe préférée de football avait perdu le soir d’avant, soit par son enthousiasme si un client avait signé un gros contrat.

Dans un monde où un employé sur quatre souffre de troubles psychiques, où le sentiment d’appartenance et la cohésion des équipes sont en perte de vitesse, où la solitude et la distance physique sont devenues la norme, et où la peur et l’anxiété sont à des niveaux alarmants, offrir les meilleurs outils aux employés pour leur permettre d’augmenter leur flexibilité émotionnelle prend tout son sens.

L’agilité émotionnelle est l’une des compétences les plus importantes à cultiver sur le lieu de travail et les organisations qui continueront à ignorer cet aspect dans leur programme de santé verront très probablement leur performance en souffrir sur le long terme.

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Delphine Caprez