Bien-être, bonheur et plaisir au travail, marketing ou réalité ?

HappinessatWork_Resilience

« Le bonheur n’est plus un luxe, il est un des facteurs de croissance économique mondiale ».
Ban Ki-Moon,
Secrétaire général des Nations Unies (2007-2016) 

Être « bien » ne veut pas dire être heureux à tout prix, ni en parfaite santé. Le bien-être n’est pas l’opposé du malheur ou du mal-être, il est plutôt son complément, indissociable et uni. 

Selon un Hackathon sur « Le bien-être au travail », voici quelques activités qui ont été classées comme n’ayant pas d’impact sur le bien-être au travail : abonnement fitness, activités de team building, babyfoot, cours de yoga, enquête de satisfaction, excès d’attention porté aux employés, formation sans accompagnement, happy events, n’être que dans le soutien et l’encouragement, open spaces, paniers de fruits, petits déjeuners avec le comité de direction ou encore plantes vertes en plastique. Ça vous parle ? 

Le bien-être est lié à différents facteurs : la santé, la réussite sociale ou économique, le plaisir, la réalisation de soi, l’harmonie avec soi-même et avec les autres.  Il est également une aspiration des responsables santé et sécurité en entreprise. Si les employés se sentent tout simplement bien au travail, ils seront plus performants, plus innovants, plus productifs, plus connectés à leur employeur et ainsi, les soucis de santé et les accidents seront en diminution, cela parait mathématique. 

Néanmoins, aspirer au bien-être ne veut pas dire rejeter le mal-être et c’est là tout l’art de parler de bien-être au sein des organisations. 

Et le bonheur et le plaisir alors ? 

 

Mais les mots sont confus. Notre société semble entretenir la confusion entre les notions de plaisir, bonheur et bien-être. Pareil du coup pour le travail : on parlait plaisir au travail dans les années 1990-2000, bonheur au travail dans les années 2010 et dorénavant on parle de bien-être au travail. Mais est-ce qu’on parle toujours de la même chose ? Quelles sont les différences entre ces termes ?

Le bonheur est une visée qui s’inscrit dans le temps long de la vie, alors que le bien-être est du registre de l’accessible et de l’immédiat. Rousseau avait d’ailleurs posé la question dès le XVIIIe siècle ; comment l’homme pourrait-il accéder au bonheur à partir du moment où le bonheur « est un état trop constant et l’homme un être trop muable pour que l’un convienne à l’autre ». 

Benoit Heilbrunn, auteur du livre L’Obsession du bien-être définit le bonheur ainsi : c’est l’anti-confort, l’aventure, la découverte, le risqué, se reposer la question tous les matins, avoir le choix. Il écrit : « Contrairement au bonheur, qui procure l’apaisement, le plaisir est excitant (…). Le plaisir est procuré par des substances, le bonheur non. Le plaisir conduit souvent à des dépendances, alors qu’on ne parle pas de dépendance au bonheur. Enfin, le plaisir est causé par la dopamine et le bonheur par la sérotonine. » Et là on arrive à un de mes sujets favoris, à savoir les hormones. Et aussi étonnant que cela puisse paraitre, les hormones (de plaisir et de bonheur) sont indissociables du monde du travail (voir article sur les Happy Hormones ici). 

De manière paradoxale peut être, les conditions externes ont peu d’influence sur noustout se passe en nous-mêmes. On nous fait miroiter du bonheur et cela nous rend accro au bien-être. 

La différence fondamentale entre le bien-être au travail, le plaisir ou le bonheur, c’est qu’il s’agit d’un état d’esprit plus encore qu’un but ou qu’une quête en soi. Se sentir bien au travail ne veut pas dire ne pas avoir d’émotions négatives, ne pas être malade, ne pas pouvoir exprimer sa frustration, sa colère, sa peur, ou encore devoir être toujours positif(ve), optimiste, et heureux(se). En Chine comme au Japon, les émotions négatives sont considérées comme faisant partie de la vie, au même titre que les émotions positives. La tristesse par exemple n’est pas un obstacle et il n’y a pas de pression, comme chez les Occidentaux, à devoir être toujours heureux, sourire, jouer un rôle et montrer que tout va bien alors que rien ne va. C’est l’expérience bien connue : répondez « Mal ! Mal ! Mal ! » à celle/celui qui vous demande : « Ça va ? » et observez sa réaction. Bien peu de personnes et encore moins de collègues sont réellement capables de l’entendre, s’arrêter et l’accueillir.

Or le bien-être au travail, c’est aussi cela, pouvoir venir avec la totalité de soi-même au bureau, ses défauts, ses souffrances, sa maladie parfois, sans masque (enfin, pas ces derniers temps mais on espère que cela va changer), sans barrière, sans faux-semblant et d’être accepté(e) ainsi. Et là, nous pourrions dire que nous avons atteint le « bien-être » ou qu’être simplement soi-même est possible. Je pense que chacun mesure le chemin qu’il reste à parcourir… 

Quand Nietzsche dit : « Le bien-être tel que vous l’entendez n’est pas pour nous une fin, c’est la fin de tout », il met en doute l’idée même de bien-être comme idéal.  Toujours selon Nietzsche, « Pourquoi rejeter absolument de notre existence le malheur, les terreurs, les privations ? Il y a une “nécessité personnelle du malheur“ et ceux qui veulent nous en préserver ne font pas nécessairement notre bonheur ».  

Chief Happiness Officer (CHO)
 

Dans les organisations où l’on parle bonheur et plaisir au travail, émergent les Chief Happiness Officer (CHO). La traduction n’existant pas vraiment en français (il y a bien Responsable Qualité de Vie au Travail, mais depuis que certains ont repéré une certaine homophonie entre QVT et cuvette…), le titre est simplement utilisé tel quel dans les pays francophones. 

Le CHO a pour mission de favoriser le bien-être au travail, d’améliorer la convivialité au sein de son entreprise, mais surtout de donner du sens. Né aux Etats-Unis (Google, startups, etc.), ce nouveau métier se développe peu en peu et tend à se professionnaliser. Son objectif en arrière-plan : éviter le turn-over, améliorer la productivité et l’efficacité, réduire l’absentéisme et augmenter engagement et attractivité. 

En Suisse comme en France, la fonction est très rarement exercée à temps plein et les « responsables du bonheur » occupent généralement un autre poste, souvent dans les ressources humaines. 

Une formation de CHO dure environ une semaine et couvre des sujets tels que : 

  • Les bases scientifiques de la performance au travail : lien entre santé, bonheur,engagement et performance ; 
  • Des risques psychosociaux à la bienveillance/respect au travail ; 
  • La cohérence avec les valeurs, le sens,la culture et la vision de l’entreprise ; 
  • L’impact du leadership ;
  • L’intelligence émotionnelle individuelle et collective ;
  • La communication interne.

Engager un Chief Happiness Officer est, au-delà de ses actions, un signal fort envoyé à vos collaborateurs et à votre entreprise. Il est le signe d’une prise de conscience des enjeux RH. Il est également – enfin dans la majorité des cas – le signal d’un management bienveillant, d’un collectif de travail qui responsabilise sans autorité, sans brutalité et qui veut l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. D’ailleurs, saviez-vous qu’il y a plus de 1’500 Chief Happiness Officer certifiés rien que sur LinkedIn ? 

Néanmoins, avoir un CHO dans votre entreprise, est-ce nécessaire pour assurer la santé, le bien-être et surtout la performance des équipes ? La réponse n’est pas si catégorique. Alors oui, c’est une bonne stratégie que d’avoir une personne dédiée au bien-être et au bonheur des employés, mais uniquement si la culture, le style de leadership et l’environnement de travail sont déjà un minimum en adéquation avec le principe. Si tel n’est pas le cas, votre CHO se débattra en lançant des initiatives auxquelles personne n’adhérera et tout cela sera totalement contreproductif. 

Ce ne sont en effet ni les Health & Wellbeing Managers, ni les Safety Officers, ni les Chief Happiness Officer qui sont finalement responsables de ces sujets de santé et de bien-être au travail. Dans un monde idéal, que l’on soit CEO, managers, leaders, employés, chacun est responsable de sa santé, de son bien-être et surtout de ne pas impacter de manière négative sur le bien-être et la santé de ses collègues.

Et le mot de la fin concerne évidemment la résilience, surtout ces derniers temps. Des équipes résilientes – dans une organisation qui prend soin de ses gens – sont plus efficaces et plus productives que des équipes satisfaites ou heureuses.

Donc à tout prendre, focalisez plutôt votre énergie et vos précieux deniers sur la résilience, la créativité, le flow, le fun, l’harmonie et le sens pour vos équipe, votre organisation, votre leadership plutôt que de vous focaliser uniquement sur ce qui touche au « happiness ».

 

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Delphine Caprez